Isabelle Carré
Les rêveurs

Isabelle Carrée a un visage d’ange et un sourire magique. Elle raconte ici d’où elle vient. Comment sa vie est “extraordinaire” dans tous les sens du terme.

Sa mère grandit dans une maison bourgeoise entre un père assez distant et une mère tourmentée qui délaisse facilement ses enfants au profit de ses multiples lubies extravagantes. Dans les bras d’un garçon, elle trouve l’attention et le réconfort qui lui manque et se noie dans ses caresses. Leur amour est fort, insouciant et elle tombe enceinte. D’un coup, elle se retrouve seule, exilée, rejetée par sa famille trop égoïste pour lui laisser sa liberté.

Puis elle rencontre l’étudiant artiste. Tout devient alors possible. “Je sais combien cet homme a changé le cours des choses, a transformé sa vie, ses connaissances, puis modifié ses désirs et ses habitudes, de quelle façon il a bouleversé son regard sur le monde, sa façon d’être au monde…”. C’est un nouveau départ. Ils se créent un monde à part, s’aménage un nid douillet. L’appartement est presque entièrement rouge, envahi de sculptures, de tentures et d’autres oeuvres d’art.  “Dès l’entrée, la couleur des murs et du plafond surprend. Des masques dogons, une collection d’Ibéjis, ainsi qu’un grand calao, accueillent les visiteurs, les étonnent par leur nombre et leur expression.” Ils sont maintenant trois enfants joyeux et complices qui évoluent dans ce monde comme dans un rêve. “Notre vie ressemblait à un rêve étrange et flou, parfois joyeux, ludique, toujours bordélique.” Jusqu’au jour où tout bascule. “Imperceptiblement ma mère quitte la partie, elle s’absente.” Elle ne mange plus, ne communique plus, se perd dans sa propre vie. D’où vient cet égarement ? Qu’est-ce qui n’a pas fonctionné dans ce mode coloré ? Les enfants sont à l’affut de signes d’amélioration qui vont finir par à se manifester après plusieurs années.

Puis viennent les hauts et les bas de l’adolescence, les premiers amours, les frustrations, le manque de confiance en soi.  “Je n’ai pas l’assurance d’un chef de bande, j’ai peur, la nuit surtout…” Il y a aussi les grands désespoirs et un retour à la vie. “J’écris “Vivre, vivre…” sur des dizaines de pages de mon cahier, d’une écriture survoltée de plus en plus large.” La musique et le cinéma prennent beaucoup de place, être sur la scène, dans un cadre réconfortant devient une nécessité. Dans un même temps, son père se transforme pour devenir celui qu’il toujours rêvé d’être.

“Derrière le rideau baissé, j’entends les spectateurs s’installer peu à peu et le théâtre se remplir. Quand la salle est pleine, les conversations ressemblent à s’y méprendre au bruit de la mer.”

La mer est agitée par moments, calme et apaisante aussi. Isabelle a des faiblesses, des forces puisées dans son histoire de famille incroyable. Elle est sensible, à fleur de peau, touchante, et très lumineuse. On a sans doute tous un peu de cette lumière en nous, plus ou moins enfouie sous la surface. Ce roman, cette histoire nous chamboule, nous émeut et nous tire vers le haut. Un premier roman lumineux et bouleversant.

Les Rêveurs, Editions Grasset, 304 pages.