Leïla Slimani
Le pays des autres

En Alsace, à l’automne 1944, la jeune Mathilde rencontre Amine qui est venu combattre dans l’armée française. D’emblée, elle se noie dans ses yeux : “Ses yeux étaient vert comme l’eau des fontaines de Meknès”, et s’extasie devant sa beauté : “Il avait la peau la plus sombre qu’on puisse imaginer”. Mathilde est amoureuse, se marie et part vivre au Maroc avec lui. “Finalement elle atterrit saine et sauve et Amine était là, plus beau que jamais, sous ce ciel d’un bleu si profond qu’on aurait dit qu’il avait été lavé à grande eau”. Arrivés à Meknès, Amine et Mathilde s’installent tout d’abord dans la maison de Berrima. C’est auprès de Mouilala, la mère d’Amine, et de Selma, Omar et Jalil, ses frères et soeurs, qu’elle apprend l’arabe, et les us et coutumes du pays. La promiscuité est évidente, mais c’est aussi pour elle une expérience enrichissante. Puis ils emménagent dans une ferme isolée à l’écart de la ville. Mathilde doit encore une fois s’adapter à un nouveau mode de vie. Amine est quant à lui animé par une seule obsession : rendre ses terres fertiles. “Il se battit pour reprendre possession de son domaine, former ses ouvriers, semer, récolter, voir large et loin”. L’entreprise est colossale, le travail harassant. Il faut défricher, piocher, débarrasser la terre de la rocaille. Surtout être patient et déterminé. Mathilde s’attelle aussi à la tâche, s’occupe de ses deux enfants Aïcha et Selim et ouvre un dispensaire.

“Aïcha avait peur de tout. Aïcha, surtout, avait peur du noir. Du noir profond, dense, infini, qui entourait la ferme de ses parents”. L’isolement est source d’inquiétude, mais les terres sont aussi, un espace libre dans lequel Aïcha peut déambuler en toute liberté. A l’école, Aïcha a une révélation : elle aime Dieu. Elle est particulièrement douée et un peu étrange aux yeux des autres. “Car Aïcha n’était ni tout à fait une indigène ni une de ces Européennes”.

Mathilde et Amine se rapprochent de Dragan et Corinne qui après avoir traversé moult péripéties, se sont installés à Meknès “pour tout recommencer”. “Dragan aimait les femmes non pas comme un séducteur mais comme un ami, comme un frère. D’elles, il avait appris un mélange de résignation et de combativité, il avait compris que la joie était une vengeance entre ceux qui voulait vous nier.”

Les étés sont brûlants. Des femmes rêvent d’émancipation. Mathilde pense qu’en effet les femmes devraient pouvoir apprendre, exister à part entière. Mais sa façon d’agir est parfois contradictoire, façonné par le temps, les habitudes.  “Etait-elle devenue ce genre de femme ? De celles qui poussent les autres à se montrer raisonnable, à renoncer, celles qui placent la respectabilité devant le bonheur ?”

Le nationalisme monte en puissance. Les émeutes s’intensifient. La peur s’installe. Des images de guerre remontent à la surface. “Comment lui raconter l’évasion, le contact des fils barbelés contre son cou, la chair qui s’y est accroché”.

Plus que tout, Mathilde et Amine sont soudés en toutes circonstances, malgré leurs différences. Les femmes sont belles, grandes, petites, soumises ou libres dans une certaine mesure. Il faut un début à tout. Les hommes sont beaux, travailleurs, fatigués, parfois un peu fous et aussi en colère dans une autre mesure.

C’est un beau roman, c’est une belle histoire. C’est un roman puissant de Leïla Slimani empreint de sensibilité et de poésie.

Le pays des autres de Leïla Slimani, aux Editions Gallimard, 366 pages.