Leïla Slimani
Regardez-nous danser

Avril 1968. On retrouve Mathilde et Amine comme si on ne les avait pas vraiment quittés. Mathilde a vieilli et grossi. Elle se sent terne et fatiguée. Elle qui s’est occupée des enfants, qui a soutenu et aidé son mari tant qu’elle pouvait, elle se sent désormais inutile. Amine, quant à lui, « est devenu encore plus beau avec l’âge. » Il est toujours dévoué à la tâche, intègre et à la fois dur et exigeant avec ses employés (mais pas seulement avec eux). Son investissement n’aura pas été vain car sa ferme est devenue prospère et il est maintenant plus serein. Il côtoie même la bourgeoisie française – assez hypocrite et pas vraiment assagie (suite aux émeutes de l’automne 1956) – et use de son charme avec excès.

Dans son ennui du quotidien, Mathilde rêve d’une piscine. « Ce jardin avait été son antre, son refuge, sa fierté…. Comment pouvait-elle à présent rêver de chaos et de dévastation ? » Amine rechigne puis finalement cède à ce caprice, secrètement et uniquement pour éblouir sa fille Aïcha. « Par sa fille, par son enfant, il devenait quelqu’un d’autre. Elle l’élevait, l’arrachait à la misère et à la médiocrité. » Car Aïcha, après plusieurs années passées en Alsace pour ses études de médecine, est de retour. Et Amine est très fière de la réussite de sa fille. Elle a toujours été très studieuse, tellement concentrée sur ces études qu’elle a été très souvent déconnectée du monde qui l’entoure. Détachée de l’actualité, elle a notamment assisté aux soulèvements de Mai 68 avec perplexité. En fait, « Aïcha était une fourmi, appliquée et besogneuse. Et elle n’avait aucune intention de s’envoler. » Aïcha renoue avec la maison de son enfance avec un brin de nostalgie, et sombre tout d’abord dans la léthargie et la contemplation. Elle retrouve Monette son amie d’enfance, rencontre Mehdi – un garçon un peu spécial-, et surtout découvre l’amour. Mehdi est fou d’elle et l’exprime avec ardeur. «  Non seulement il était amoureux d’elle, la femme qu’il connaissait, mais aussi de toutes celles qu’elle avait été et de toutes celles qu’elle deviendrait. » Submergée, Aïcha panique et prend le temps d’apaiser ses émotions.

« Aïcha, Aïcha. Le simple prénom de sa soeur suffisait à le mettre en rage. » Selim, lui, n’est pas ravi du retour de sa soeur.  Il n’aime pas les études et n’arrive même pas à avoir son baccalauréat. Il s’est toujours senti en décalage, pas à sa place face aux demandes des professeurs, face au regard terrifiant de son père. Lui qui n’est ni acharné ni besogneux. Lui qui prend du plaisir qu’en nageant. Selim grandit, devient un homme et ça n’est pas facile également. Seul et incompris, il trouve un peu de réconfort dans les bras de sa tante Selma puis rejoint la communauté hippie installée sur la côté atlantique du Maroc, et s’évade dans des délires hallucinogènes. « Selim était prisonnier d’un rêve poisseux, gluant, profond comme un marécage, et il ne pouvait s’en arracher, comme ces personnages de contes qui rêvent qu’ils rêvent qu’ils rêvent. »

La vie n’est pas facile voire chaotique pour Amine, Mathilde, Aïcha, Selim et les autres. Chacun suit sont chemin, une voie qui élève, un sentier plus tranquille ou un labyrinthe inextricable dans un pays certes indépendant mais encore fragile. La jeunesse a soif de liberté et de modernité. Mais la répression sévit toujours et les inégalités sociales persistent. Par leur personnalité, leur tenacité, leur doutes ou leur sensibilité, les protagonistes de cette histoire ont une vie remarquable. C’est encore une fois une belle histoire, un roman de Leïla Slimani à ne pas manquer.

Regardez-nous danser, Le pays des autres 2, Editions Gallimard, 365 pages.